Aliments de substitution pour les poissons d’élevage

Fiche Aquaculture mai 2008
http://aquaculture.ifremer.fr/Fiches-d-information

Remplacer la farine et l’huile de poisson par d’autres sources de protéines ou d’acides gras

Face à la demande croissante de l’aquaculture et à la stagnation prévisible de la production des farines et huiles, issue de la pêche, il est apparu nécessaire de réduire la proportion de farine de poisson dans les aliments des élevages aquacoles. La recherche s’est donc orientée vers d’autres sources protéiques, pour remplacer ces farines et huiles de poisson, en particulier par des matières premières végétales tout en cherchant à conserver les qualités nutritionnelles et organoleptiques des poissons d’aquaculture.

Les matières premières d’origine végétale

Les matières premières d’origine végétale sont nombreuses. Moins adaptées aux besoins des poissons, elles n’ont pas les mêmes valeurs nutritionnelles et la même appétence que la farine de poisson. Bien qu’elles soient pourvues de pouvoir liant favorisant la cohérence des granulés, leurs propriétés d’intégration dans des aliments composés sont différentes.

La fabrication des farines végétales s’appuie sur la réglementation, afin :

- de préserver des risques de divers contaminants d’origine microbienne, chimique, toxicologique,

- de permettre une traçabilité des différents constituants et vérifier que les aliments intègrent la maîtrise du risque OGM.

L’utilisation des végétaux dans les aliments aquacoles tient compte des conséquences sur l’environnement en matière de rejets des matières non assimilées (rejets phosphorés ou azotés). Ainsi, le phosphore, lié au phytate des produits végétaux, est rendu disponible par les phytases qui par hydrolyse enzymatique, accroissent son absorption et son utilisation chez les poissons, réduisant ainsi l’excrétion phosphorée. La recherche tend à compléter la formulation par l’ajout de phytases ou à sélectionner des végétaux riches en phytase.

 

 

En alimentation animale, les aliments aquacoles occupent une place croissante, mais tributaire de la mondialisation du marché des ingrédients.

Sources de protéines

Une large gamme d’ingrédients végétaux est déjà prospectée pour remplacer la farine de poisson. Les aliments commerciaux actuels contiennent de 30 à 40 % de produits de source végétale.

En Europe, ce sont des oléagineux comme le colza, le tournesol et le soja ou des protéagineux tels que le pois, la féverole ou le lupin ou encore des coproduits de céréales comme le gluten. Le potentiel de fourrages déshydratés (luzerne) est aussi exploré.

En dehors du gluten, la teneur en protéines de ces végétaux, est plus faible que celle de la farine de poisson (60 à 75 %) : 60 % pour le gluten, 45% pour le soja et 26-30% pour le pois et le lupin. Les protéines végétales sont aussi un peu moins digestes et certains acides aminés essentiels sont faiblement présents (lysine, méthionine). Les végétaux sont toutefois riches en vitamines.

Pour accroître la digestibilité des farines végétales, et limiter les effets de certains constituants peu digestes ou composés réduisant la valeur alimentaire de l’ingrédient, celles-ci doivent être traitées par la chaleur à forte pression (extrusion) et/ou débarrassées de l’enveloppe des graines (dépelliculage).

Ces propriétés négatives sont toutefois compensées lors d’un mélange de plusieurs ingrédients dans la formulation, adaptée selon l’espèce de poisson ciblée.

Chez les salmonidés, les meilleurs résultats de substitution de la farine de poisson, ont été obtenus avec le soja.

Concernant la truite et la daurade, des progrès ont été obtenus en combinant les protéines de différentes sources végétales. Il est possible de remplacer 75% de la farine de poisson par un mélange de céréales, protéagineux et oléagineux (gluten de maïs ou de blé, pois extrudé, lupin et colza) sans altérer la croissance, le métabolisme et le système immunitaire des poissons, ni les qualités organoleptiques et nutritionnelles de leur chair.

 

Exemples de taux d’incorporation d’ingrédients en substitution à la farine de poisson chez différentes espèces élevées

(F : farine ; T : tourteau ; P : protéines)

(Burel, et al., 1998; Kaushik, et al., 2004; Sitja-Bobadilla, et al., 2005; Sanchez Lozano, et al., 007)

Chez certaines espèces de poissons herbivores et omnivores, (carpe, tilapia, poisson-chat) et de crustacés (crevette du Pacifique) des sources protéiques peu conventionnelles, de faible coût de production et à proximité des sites d’élevage, ont déjà donné de bons résultats de croissance et de digestibilité : tourteaux de coton, sésame, lin, copra ou encore protéagineux comme les fèves.

L'utilisation d'algues ou de bactéries comme sources de protéines est aussi explorée, mais avec peu de succès jusqu'à présent.

Les produits d’algues sont employés comme liants (alginate, carréghane, agar), appétants alimentaires, source de minéraux essentiels notamment pour la crevette, pour leur propriété potentielle immunostimulante et comme source de pigment (spiruline). Les farines d'algues et leurs extraits sont relativement nouveaux sur le marché des ingrédients alimentaires et nécessitent plus de recherche afin d'établir leur véritable potentiel.

Les co-produits issus de la fabrication de bio-éthanol sont aussi riches en protéines

En Europe, le bioéthanol est produit à partir de céréales (blé, maïs...) ou de betteraves. Les coproduits concentrés pour obtenir des drèches, sont riches en protéines et contribuent à réduire les importations de tourteaux de soja dont les filières animales françaises sont dépendantes.

Vers d’autres sources naturelles

De nouvelles sources naturelles, marines ou terrestres, sont des ingrédients possibles de substitution de la farine de poisson dans l’alimentation des poissons et sont explorées dans les pays nordiques:

  • le krill de l'Antarctique ( Euphausia superba) est un excellent ingrédient naturel (56 à 76% de protéines, selon qu’il est entier ou dépourvu d’exosquelette). Son incorporation jusqu’à 30%, favorise la prise alimentaire et la croissance chez le saumon, la truite, la morue et le flétan.
    le krill représente un grand potentiel car la biomasse était estimée à 44 Millions de tonnes en 2003/2004 (CCAMLR 2005), et moins de 120 000 tonnes sont exploitées (Albrektsen, 2007).
  • une autre source naturelle de protéines, issue de la classe des insectes, fournit une protéine de haute qualité appelée « ento-protéine » ; elle pourrait constituer un marché important pour les élevages d’appellation « bio ».

Sources d’acides gras

Outre les protéines, les poissons requièrent pour leur développement et leur croissance, des vitamines, des minéraux et des acides gras essentiels. Il s'agit d'acides gras longs polyinsaturés le plus souvent de la série n-3 dits « omega 3 », constituant des membranes cellulaires. Or, les poissons ont de très faibles capacités à les synthétiser à partir d’autres éléments lipidiques précurseurs comme l'acide linolénique abondant dans les huiles végétales.

L'aliment doit donc contenir ces acides gras essentiels, soit 1% de la ration alimentaire. Ce besoin peut être couvert soit par l’apport d’huile de poisson en fin de cycle d’élevage, soit par la farine de poisson si celle-ci est incorporée en quantité dans le régime, auquel cas, l’huile de poisson peut-être totalement remplacée par un mélange d’huiles végétales :

Tableau : Substitution de l’huile de poisson par différentes sources d’huiles végétales testées avec succès

Espèces d’élevage

Huile de poisson témoin

Taux maximal possible de substitution de l’huile de poisson

Sources d’huile végétale (proportion de chaque ingrédient)

saumon

capelan

100%

colza, ou colza-olive (50/50) ( Bell, et al., 2003 ; Torstensen, et al., 2004) 

truite

capelan

100%

mélange colza, palme, lin (55 / 30 / 15) (Richard, et al., 2006) 

poisson chat

menhaden (alose tyran - nom officiel)

100%

palme (Ng , et al., 2004) 

turbot

capelan

100%

soja ou lin

(Regost, et al., 2003) 

bar

anchois

60%

soja ou lin ou olive (Mourente, et al, 2003 ) ; mélange colza, palme, lin (Montero, et al., 2005 ; Richard, et al., 2006) 

daurade

anchois

60%

soja ou lin ou colza ou mélange des 3 huiles (Cabellero, et al., 2004 ; ) 

Récemment, le remplacement total de l’huile de poisson par un mélange d’huiles végétales, élaboré de façon à obtenir une proportion d’acides gras similaire de celle de l’huile de poisson est donc possible chez certaines espèces sans modifier la croissance tout en minimisant les variations de composition en acides gras de la chair. (Une diminution du taux de cholestérol est aussi trouvée avec les régimes à base d’huiles végétales).

En outre, le maintien de la richesse en acides gras longs polyinsaturés de la série n-3 dans le muscle des poissons est important pour le consommateur humain, car ces composés lipidiques interviennent dans la prévention des risques liés aux maladies cardiovasculaires.

Conclusion

L’alimentation des poissons et crustacés d’aquaculture doit prendre en compte les besoins propres à chaque espèce pour obtenir un produit d’élevage sain, de bonne qualité organoleptique et nutritionnelle dans des conditions de bien-être optimal.

Elle doit aussi prendre en compte la disponibilité des matières premières et leur pérennité lors de l’utilisation d’aliments de substitution afin d’assurer la durabilité des activités halieutiques et aquacoles.