La sursaturation des gaz dissous en aquaculture

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Cette page est destinée plus particulièrement
aux professionnels de l’aquaculture, étudiants, aquariophiles,
et fournit les réponses aux principales questions
qu’ils peuvent se poser sur ce phénomène.

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Le phénomène de sursaturation peut provoquer en aquaculture des pathologies diverses, léthales ou subléthales, à tous les stades de l’élevage. Les signes les plus connus sur les poissons sont l’exophtalmie et la maladie de la bulle faisant apparaître des bulles sous les écailles ou sur les nageoires. Ce phénomène a été décrit pour la première fois par Gorham (1901)

Mise en ligne du 30 juillet 2010

La mesure de la sursaturation gazeuse

La mesure de la saturation des gaz totaux nécessite un équipement spécifique, peu diffusé en France. Le matériel est, il est vrai, peu pratique d'utilisation, en raison du temps d'équilibrage nécessaire pour obtenir la mesure (5 à 10 minutes), et des calculs qu'ils nécessitent à partir de la valeur du DELTA P mesuré. Des données complémentaires sont également à relever en parallèle avec précision (0 2 dissous, salinité, température, pression atmosphérique, C0 2 dissous dans certains cas).

Cet appareil est toutefois essentiel pour s’assurer

  • lors de pathologies que la sursaturation n’en est pas l’origine
  • pour tester une nouvelle installation de distribution d’eau qui comporte du pompage et/ou du réchauffement de l’eau.

Quelques compagnies toutes situées en Amérique du Nord fabriquent des appareils spécifiques pour cette mesure, nommés saturomètres ou tensionomètres.

Un ouvrage complet en langue anglaise est à recommander (COLT 1984), pour qui veut comprendre et appliquer les formules de calculs des gaz totaux. Il contient les tables nécessaires, ainsi que des programmes pour calculatrices de poche, afin de faciliter le dépouillement.

L’appareil généralement fournit le DELTA P qui est la différence de pression (positive ou négative) avec la pression atmosphérique (P atm) sur laquelle l’appareil est étalonné au préalable.

La Pression des Gaz Totaux (P GT) peut être calculée par la formule :

P GT (%) = [(DELTA P + P atm) / P atm ] x 100 

Le calcul de la pression partielle de l’azote gazeux nécessite de déduire de la pression des gaz totaux, la pression partielle des autres gaz (oxygène et gaz carbonique essentiellement).

La solution simple aujourd’hui pour éviter des calculs fastidieux est d’utiliser un tableur. Nous avons créé dans cet esprit une feuille de calcul pour EXCEL 5.0 et + qui fonctionne sous PC.

Une version freeware (format excel MAC et PC) est disponible : application/vnd.ms-excel Calcul de la sursaturation gazeuse 

Les sources de sursaturation gazeuse

D'après COLT (1983), six mécanismes principaux peuvent être recensés dans la production des sursaturations gazeuses :

  • L’ENTRAÎNEMENT DES BULLES est le mécanisme le plus connu comme dans le cas d’une pompe ayant une prise d’air sur la tubulure d'aspiration, ou de certains aérateurs (tube en U, aérateurs venturi,...)
  • LE CHAUFFAGE DE L'EAU, souvent pratiqué en écloserie, provoque des sursaturations, par diminution de la solubilité à température croissante. La figure de gauche donne une idée de l'effet d’une hausse de température sur la sursaturation.
  • LE MÉLANGE DES EAUX de températures différentes (figure de droite).

 

 

  • LA PHOTOSYNTHÈSE qui peut créer, en période de haute intensité lumineuse, de fortes productions d'oxygène dissous. Les animaux marins semblent toutefois supporter des sursaturations beaucoup plus fortes dans ces cas-là, comme avec de l’oxygène pur.
  • L'ACTION DES BACTÉRIES peut modifier la concentration de gaz dissous. C'est le cas des eaux souterraines où la respiration des bactéries diminue le niveau d'oxygène et augmente celui du gaz carbonique. Lorsque les conditions deviennent anaérobies, des quantités importantes de méthane et d'azote peuvent apparaître. C'est le cas également des étangs et marais envasés, qui peuvent dégager, du fond, des gaz tels que méthane (CH 4), azote (N 2), hydrogène (H 2), hydrogène sulfuré (H 2S)
  • LES CHANGEMENTS DE PRESSION. Une diminution de la pression atmosphérique rapide entraînera une augmentation de DELTA P. De même la remise en surface d’eaux souterraines souvent riches en CO 2 et N 2 et pauvres en O 2 provoque des maladies par sursaturation.

Les procédés de dégazage

Pour éliminer les sursaturations, il faut favoriser l'équilibre des gaz dissous avec l'air, donc pour cela augmenter au maximum la surface de contact air - liquide. Les méthodes recensées pour dégazer les eaux par aération sont, d'après Hussenot (1987) :

  • les cascades (Rucker et Tuttle 1948)
  • les aérateurs de surface (Wold 1973)
  • les aérateurs diffuseurs peu profonds (Dennison et Marcchyshyn 1973)
  • les dégazeurs à vide (Mount 1961, 1964; Wilson et Tsao 1974; Monk et al.1980)
  • les colonnes d'aération gravitaires (Packed Column Aeration) (Owsley 1981; Hackney et Colt 1982; Marking et coll.1983)

De ces méthodes, les colonnes d'aération sur anneaux ont gagné, aux USA, une grande popularité, que nous partageons en France, depuis leur introduction il y a une trentaine d’années.

Les dégazeurs à vide sont également très efficaces, mais ont l'inconvénient d'être limités en débit, de consommer beaucoup d'énergie et de diminuer en même temps le taux de saturation de l'oxygène dissous (Marking et coll.1983).

Ifremer a déposé en 2007 un brevet sur un dégazeur multi-fonctions à faible consommation énergétique, qui permet le retraitement de l’eau d’un système recirculé de pisciculture marine par réduction des concentrations en gaz carbonique, azote gazeux, et simultanément peut éliminer les particules et la matière organique dissoute par flottation et écumage.

Dimensionner une tour de dégazage

Il s’agit d’un simple tube rempli d’anneaux, lesquels sont maintenus par une grille à la base, en laissant au maximum passer l’air dans la colonne ouverte

Les règles de base pour la construction sont :

  • une hauteur efficace (L) minimum de 1m (2 à 3m si problème de pH ou de CO 2)
  • une taille des anneaux proche de 1/8 e à 1/10 e du diamètre intérieur du tube
  • un diamètre de colonne (D) limitant la vitesse de passage de l’eau à 700 m/h (en divisant le débit maximal à traiter en m 3/h par la vitesse de passage on obtient la section de la colonne en m 2)
  • une colonne pouvant fonctionner pour des débits inférieurs au débit maximal calculé
  • une installation parfaitement verticale de la colonne permettant une chute à l’air libre
  • un bac de récupération de l’eau ne permettant pas l’aspiration des bulles de dégazage dans une conduite de distribution (cas d’un bac distributeur).
  • sans freiner l’entrée d’air, une protection de la lumière solaire du haut de la colonne pour éviter la formation d’algues
  • un nettoyage annuel des anneaux de la colonne.

Il est possible de réaliser d’autres types de colonnes, renvoyant par exemple l’eau horizontalement pour faire tourner l’eau des bassins.

Les seuils à ne pas dépasser

Nous préconisons comme règle générale pour les poissons de ne pas dépasser :

en écloserie : 102 % P GT  (soit DELTA P + 15 avec P atm de 760 mmHg)
en élevage : 105 % P GT  (soit DELTA P + 38 avec P atm de 760 mmHg)

Bisker et Castagna (1985; 1987) montrent des mortalités sur des bivalves ( Crassostrea virginica, Mya arenaria) à 116 et 120 % P GT. Des phénomènes de flottation des animaux apparaissent vers 108 % par accumulation de bulles dans les branchies, sans forcément de mortalité. Un niveau inférieur à 110 % de TGP est sûrement à considérer, et de 105 % préférentiellement comme pour les poissons en élevage.

Gunnarsli (2009), montre que, en écloserie sur des larves de morue, des effets chroniques sont possibles à des niveaux de 103 % P GT , pouvant occasionner des réductions de croissance, et qu’il serait donc préférable de se situer le plus près possible de l’équilibre de pression des gaz (100 % P GT ) en écloserie de poissons.

Conseils pour une intervention d'urgence en cas de maladie de la bulle

  • Surtout ne pas réduire la hauteur d’eau du bassin, l'eau étant moins sursaturée en profondeur, les poissons ont tendance à s'y réfugier.
  • Si possible, même, augmenter la hauteur d'eau, en effectuant préférentiellement un apport d'eau plus froide de quelques degrés.
  • En parallèle, aérer l'eau pour la dégazer avec un aérateur de surface (cascade, aérateur à palettes, grilles, ... ) et non avec un aérateur immergé (turbine, venturi, tube en LJ, ... ), qui mal dimensionné peut apporter lui-même une sursaturation.
  • Rechercher, à l'aide d'un saturomètre les causes de la sursaturation accidentelle (prise d'air au pompage, aérateur immergé, chauffage de l'eau sans dégazage, ... ).
  • Supprimer la cause de la sursaturation, ou installer un système de dégazage en amont du bassin d'élevage.

Remarque : Une sursaturation en oxygène est généralement couplée avec une sursaturation des gaz totaux, mais dans la plupart des cas de sursaturation gazeuse en aquaculture, l’oxygène dissous est sous-saturée, ce qui nécessite obligatoirement un saturomètre pour la détecter.